De la sieste à ma façon par Jean Mignot
   03/07/2025
De la sieste à ma façon par Jean Mignot

De la sieste à ma façon 

Juillet et Août sont des mois de canicule et tandis que les vacanciers, estivants ou autres personnes en congés, « juilletistes » ou « les aoûtiens », ne pensent qu’aux baignades, fêtes et loisirs d’été en tous genres, sans oublier la sieste, le paysan s’active dans ses champs : « En août et en vendanges, il n’y a ni fêtes ni dimanches » car « qui dort en août dort à son coût ». Chez moi en Cévennes on dit : « passat lou 15 de agoust pas pus de dormido ni mai de goustarous ! » « Après le 15 août, plus de sieste ni de goûter ».

De nombreux dictons donnent les mêmes recommandations : « En août quiconque dormira sur le midi s’en repentira ».  « Quand même la couche serait à ton goût ne dors pas sous le soleil d’août » ou encore : « En canicule point d’excès, en aucun temps point de procès. 

La sieste est si bénéfique qu’on en parle de plus en plus et qu’on écrit même des livres pour en vanter les bienfaits. Alors voici une approche de la sieste « à ma façon ».

Sieste vient du latin « sexta » la sixième heure du jour, heure de prières dans les monastères et pour bien des croyants.

On distingue plusieurs types de siestes : la « sieste éclair » qui dure généralement entre 10 et 30 minutes - cette durée est d'ailleurs généralement conseillée car au-dessus de 30 min de sieste il est assez difficile de revenir rapidement à l'état d’éveil ; la « sieste royale » à partir d'une heure ; la « micro-sieste » qui dure moins de 5 minutes. La sieste permet de regagner de la concentration et de l'énergie, et met de bonne humeur. Il est tout de même conseillé de ne pas commencer à faire la sieste après 16 h pour ne pas avoir d'effet négatif sur la nuit suivante.

La sieste est couramment pratiquée dans les pays chauds, aux heures les plus chaudes lorsque le soleil est au zénith : la chaleur ne permet pas d'activité très physique et le travail est remis aux heures plus fraîches. 

Les « Parisiens » et autre gens du Nord, considèrent souvent la sieste comme un  « luxe », un temps volé au temps de travail ou à d'autres activités ou même associé à la paresse, alors que le premier objectif de la sieste, c’est d’échapper à la chaleur écrasante : ne pas se fatiguer davantage quand le thermomètre grimpe trop haut. Climatisation aidant ils débarquent chez vous sans tenir compte de ces heures ou le repos est « sacré ». Ne leur proposez pas d’arriver chez vous dans l’après-midi. Ils vont arriver entre quinze et seize heures ! il faut les inviter à l’apéro mais pas avant 19h ! …

« La sieste est pratiquée tout autour de la Méditerranée : en Égypte, en Grèce, au Moyen-Orient », raconte l’historien et écrivain Robert Colonna d’Istria, « et je constate que c'est là qu'est née la civilisation et les plus grands empires." …

En Provence et chez nous c’est la siesta, ou la dormido (prononcer « dourmido » ; ou le « pénéquet » un petit somme à la provençale, un de ces symboles de l'art de vivre en Provence, associé au soleil, au jeu de boules et au pastis ! Bien que cela ne soit pas réservé aux habitants de la Provence, ce moment magique prend toute son importance dans notre région, d'autant plus lorsque la chaleur devient de plus en plus accablante. Comment résister, après une bonne matinée passée à la pétanque, sport traditionnel populaire, après un apéritif bien arrosé de « petit jaune », suivi d'un bon repas, comme l'aïoli par exemple - qui demande toute l'énergie possible pour réussir une bonne digestion - à l'appel d'un petit pénéquet ? C'est la question que se posent tous les provençaux lorsqu’après le repas, le silence en devient imposant, seulement interrompu par le chant des cigales. C'est alors le moment de se glisser sur une chaise longue, à l'ombre des grands arbres ou encore derrière les volets croisés d'une maison contenant encore la fraîcheur de la nuit précédente ! Le pénéquet est à présent en train de gagner les esprits et de plus en plus de partisans d'une sieste qui deviendrait obligatoire se font entendre, louant les bienfaits d’une petite somme d'un quart d'heure par jour afin d'améliorer la mémoire, les jugements ainsi que la créativité de tous. Alors ne dénigrons pas cet instant sacré !

De là à faire l’éloge de cette pratique, il n’y a qu’un pas !

Un ancien président de la république a préfacé le livre de Bruno Comby : « Eloge de la Sieste ».

« C'est avec un peu d'étonnement que j'accueillais la proposition de Bruno Comby d'écrire une préface à son "Éloge de la sieste", …Mais, à bien y réfléchir, partant de mon expérience de la sieste, de tout ce qu'elle m'apporte et de tout ce qu'elle m'autorise dans mon emploi du temps, cette idée d'un ouvrage qui serait, à la fois, un encouragement à pratiquer la sieste et un mode d'emploi m'a finalement conquis. 

Le repos est une affaire sérieuse, dont la qualité conditionne notre existence. De nombreuses religions ont sacralisé le sommeil dont Charles Péguy écrivait qu'il est « l'ami de Dieu [et] de l'homme ». Les anciens savaient que la clé des songes est aussi celle de l'équilibre et du bonheur, et recommandaient la pratique de la sieste…

Parmi nos illustres contemporains, André Gide, qui en était le fervent adepte, avouait lui consacrer deux heures quotidiennes, parfois plus, et en tirait une grande satisfaction…

Oui, la sieste est une recette d'équilibre à la portée de tous… » Jacques Chirac 

 « Laissez-vous aller, allongez-vous, ne résistez pas à l’appel de la sieste, à ce plongeon voluptueux dans le sommeil diurne ! Dormez, rêvez, rompez les amarres avec la rive du quotidien chronométré ! Décidez de votre temps, siestez ! » écrit Thierry Paquot, dans son essai : « L’art de la sieste », et il met l’accent sur la maîtrise du temps et la reconnaissance d’un temps à ne rien faire d’autre que… dormir !

Différents auteurs ont parlé de la sieste ou décrit ce moment privilégié et des peintres très célèbres comme Van Gogh, Millet et Pissaro nous ont laissé des tableaux célèbres sur le thème de la sieste.

Alphonse Daudet dans plusieurs de ses œuvres et bien sûr dans les « lettres mon moulin » décrit ce moment de la journée où tout est calme, les routes et rues désertes, volets fermés…

« C’était en revenant de Nîmes, une après-midi de juillet. Il faisait une chaleur accablante. À perte de vue, la route blanche, embrasée, poudroyait entre les jardins d’oliviers et de petits chênes, sous un grand soleil d’argent mat qui remplissait tout le ciel. Pas une tâche d’ombre, pas un souffle de vent. Rien que la vibration de l’air chaud et le cri strident des cigales, musique folle, assourdissante, à temps pressés, qui semble la sonorité même de cette immense vibration lumineuse… Je marchais en plein désert depuis deux heures ». A.D les deux auberges.

A Cucugnan, ce village d'Occitanie, en Roussillon et non en Provence, bien connu pour son curé, la municipalité a pris l’initiative de créer un lieu dédié à la sieste…Au pied du château de Queribus c’est un espace de repos, d’observation et de sensibilisation au patrimoine naturel environnant. 

Le Pont du Gard, le lundi de Pâques, propose une « sieste musicale » moment où on oublie notamment les tracas qui envahissent la vie quotidienne.

En Espagne, les horaires des bureaux laissent le temps de faire la sieste. Le travail reprend dans l’après-midi, vers 15 ou 16 heures. En revanche, il finit plus tard, entre 20 heures et 21 heures. Le gouvernement essaye sans succès de modifier cette habitude peu conforme aux exigences de la mondialisation : les horaires des fonctionnaires pourraient désormais finir à 18 heures. L’État espère ainsi inciter les entreprises à suivre la même voie. 

En Chine, le droit à la sieste est inscrit dans la Constitution de 1948, article 49 : « Ceux qui travaillent ont droit à la sieste ». 

Au Japon, de nombreuses entreprises japonaises ont aménagé dans leurs locaux des espaces destinés à la sieste plus ou moins forcée de leurs employés. 

Les enfants en bas âge ont souvent besoin d'un tel moment de repos, au moins sous la forme d'un « temps calme » organisé dans les structures d'accueil (écoles, centres de loisirs ou de vacances).  

Françoise Hardy nous invite à ce temps de repos : 

« Et si tu mettais Le répondeur, C'est mieux que les boules Quiès

T'as pas remarqué que c'est l'heure de faire la sieste...

T'agiter trop tôt serait une erreur, t'as besoin de repos. »

La sieste nous a laissé au moins quatre mots étroitement liés à sa pratique. 

Le "radassier"; cette sorte de canapé à structure de bois et à assise de paille, à trois places, peu confortable. « Radasser » c’est « se reposer » du verbe radassa dans les parlers du Midi.

« La méridienne » terme surtout employé pour désigner un fauteuil plus confortable sur lequel on se repose ; un canapé à deux chevets de hauteurs inégales qu’on a baptisé « récamier » à cause du célèbre portrait de David, et dont la partie basse peut être rabattue à l’horizontale. 

Le « sofa » sorte lit de repos à trois dossiers qui sert de siège, et que l'on confond souvent avec un canapé. « On appelle un sofa une espèce de lit de repos à la manière des Turcs ». 

Et autres « chaises longues » et « transats ».

Nous pourrions chanter avec Fernandel : « Le tango Corse, c'est un tango conditionné / Le tango Corse, c'est de la sieste organisée / (...) Le tango Corse, c'est l'avant-goût de l'oreiller », avec toute la lenteur voulue. 

Bonne sieste ! 

Jean Mignot