IL EST PASSE PAR ICI - REPASSERA-T-IL PAR LÀ ? (De la transhumance des ovins en Cévennes) Par Dominique GARREL
   24/06/2025
IL EST PASSE PAR ICI - REPASSERA-T-IL PAR LÀ ? (De la transhumance des ovins en Cévennes) Par Dominique GARREL

IL EST PASSE PAR ICI - REPASSERA-T-IL PAR LÀ ?

(De la transhumance des ovins en Cévennes)

 

On utilise les paroles de cette comptine « Il court, il court, le furet » afin de communiquer de manière complice et humoristique, que l'on se pose des questions sur l’avenir des drailles et de la transhumance. Cette métaphore est bien contextuelle en ce qui concerne les Cévennes - Mont Lozère. Cévennes Magazine s’inquiète ici d’une pratique ancestrale qui, malgré son impact touristique, semble se déliter.

Après une première reconnaissance de la transhumance, pratiquée par les bergers et les éleveurs, inscrite au Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) de la France en juin 2020, l’Unesco a reconnu la transhumance comme Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité en décembre 2023.

Avec cette inscription, ce sont les modes d’élevage et les pratiques de gestion pastorale en altitude, les pratiques coutumières de gestion collective des territoires pastoraux, les savoir-faire liés à l’artisanat et à l’élaboration de produits alimentaires, qui sont reconnus comme un apport à l’humanité. En outre, grâce aux troupeaux et à l'estivage, ces terres ne sont pas envahies par les broussailles ; le mouton agissant sur le pâturage comme un agent de « conservation du paysage ».

Tradition cévenole, la transhumance est une pratique d’échanges entre plaines et montagnes, connue partout en Europe ; elle enregistre un fort déclin depuis le milieu du XIXe siècle. Le Mont Lozère accueillait 100 000 moutons en 1703, 21 000 en 1961 et 10 230 en 1977. Dans les années 1970 - 1980, le territoire du Parc national des Cévennes recevait 30 000 ovins. Aujourd’hui, la transhumance représente un effectif de 20 000 moutons sur l’Aigoual et le Mont Lozère. 

Sur l’Aigoual, la transhumance est pratiquée depuis des temps immémoriaux. MM. Paul Marcelin (Revue des Eaux et Forêts, 1940), André Soutou (Cahiers ligures, 1959) et Albert Grenier en 1905 (La transhumance des troupeaux en Italie et son rôle dans l'histoire romaine) ont insisté sur la haute ancienneté des drailles.

La draille (ou drailhe) forme sur l'Aigoual une sorte de croix, le point d'intersection (col de la Sereyrède) des quatre branches étant grosso modo à la limite des départements du Gard et de la Lozère. Du côté du Gard on a une branche montant de Valleraugue et une du Vigan par l'Espérou ; du côté Lozère, une branche va vers Meyrueis par la Croix de Fer, une autre vers Cabrillac. C'est cette dernière qui, localement, porte le nom de draille de l'Aigoual, tandis qu'un tracé secondaire, conduisant à Meyrueis, mais par la crête du Calcadis, se nomme draille du Calcadis, puis chemin de Meyrueis au Calcadis ou Camin Ferrat, nom caractéristique qui montre une utilisation dans la période romaine. C'est cette route qui, au XIIIe siècle, est mentionnée dans les documents sous le nom de strata publica.

Plus qu’un évènement touristique, la transhumance joue donc un rôle essentiel sur les hauteurs cévenoles Gard-Lozère. Cévennes Magazine était présent ce samedi 14 juin au passage du troupeau dans le hameau de Cabrillac (communes de Rousses et Gatuzières). Les bêtes et les hommes y trouvaient naguère l’eau en abondance d’une source et un fameux restaurant, hélas fermé de nos jours. Devenu quasi anecdotique, le passage à Cabrillac pourrait être l’occasion, avec le concours de la municipalité de Rousses, celui de la communauté de communes et du Parc National des Cévennes, de trouver un second souffle si nécessaire à la vie de cette bourgade. C’est en effet à Rousses que se trouvent les pâturages et le parc du troupeau et, attenante à ce dernier, la maison des bergers.

Finissons avec Frédéric Uhmann qui, dans le Nouvel Observateur du 26 février 1973, écrivait : « Si le Parc National des Cévennes a été créé pour préserver la nature, il faut que ce soit pour et avec le Cévenol et non pas contre lui... Quel intérêt cela a-t-il de préserver la nature dans un parc national des Cévennes ou d'ailleurs si bientôt on n'y peut plus trouver ceux qui, depuis toujours, ont vécu l'intimité de leur pays ? Si l'on n'y rencontre plus ceux qui savent donner leur nom à la montagne et aux ruisseaux et, par-là, leur donnent vie... ».

 

Dominique Garrel

Photos Karine Pâris