A SOLAN DES RELIGIEUSES DANS LES PAS DE PIERRE RABHI
   22/08/2024
A SOLAN DES RELIGIEUSES DANS LES PAS DE PIERRE RABHI

A SOLAN DES RELIGIEUSES DANS LES PAS DE PIERRE RABHI

 

Les lecteurs de Cévennes Magazine le savent bien : la pomologie relève aussi de l’esprit de la terre. Démonstration avec des religieuses qui font plus que prier pour cultiver leur lopin de terre et en retirer plus que des nourritures spirituelles : des confitures, des pâtes de fruits, des vins qui relèvent presque du divin.

 

Prière d’aller voir des agricultrices modèles…

A quelques encablures d’Uzès et de Bagnols-sur-Cèze, au-dessus de Saint-Laurent-la-Vernède, La Bastide-d'Engras est un petit village perché sur une arête, un serre de garrigues. Le village, autrefois cerné de hauts remparts, s'est développé en deux bourgades face à la vallée de la Veyre.

Entre ce bourg où il est rattaché et un autre village – Cavillargues, petite commune rurale située à l’écart des grands axes routiers - s’est installé un monastère qui s’est taillé une solide réputation en matière de culture et de productions pomologiques.

Il faut dire que le lieu est connu depuis le Haut Moyen-âge avec à l'extrémité d'un cap barré surplombant la vallée de la Tave, un prieuré à la collation de l'évêque d'Uzès, de nos jours, entouré de vergers : Saint-Jean-d’Orgerolles.

Le monastère s’est installé à quelques centaines de mètres de cet ancien site. C’est sur une ancienne ferme, déjà nommée Solanum en 1207 par l’historien Ménard (I, preuves page 44, c. 1) comme par les archives du grand séminaire de Nîmes en 1721 « Le devois de Solans » que s’est établie une congrégation. Notons pour les historiens que ce lieu appartenait au XVIIIe siècle à M. de Cuny. Les bâtiments actuels, dont les parties les plus anciennes remontent à l’époque de la fondation, sont, dans l’ensemble, du XVIe et du XVIIe siècle.

 

LE MONASTÈRE

Un peu d’histoire

Etabli dans un premier temps dans une petite maison dans le Vercors, le monastère de la Protection de la Mère de Dieu a été fondé en 1981 par le Père Placide Deseille, sous la dépendance du monastère de Simonos Petra, l’un des vingt grands monastères du Mont Athos (Grèce) ; les moniales s’y sont formées à la vie monastique athonite.

En 1992, par manque de place et devant quitter le Vercors, la communauté a trouvé, dans le mas et les terres de Solan, un lieu propice à une implantation durable.

Le domaine agricole est installé sur soixante hectares de bois, terres, landes, et une châtaigneraie. Le tout dans une grande diversité, avec six à sept types de sols, des variations d’altitudes allant de 196 m à 238 m, entraînant des expositions variées, une abondance d’eau en sous-sol et la présence de plusieurs sources, d’un ruisseau et d’une mare.

A l’origine, seuls étaient cultivés 8 ha de vignes et 3 ha d’abricotiers. Les autres terres étaient abandonnées et les bois impénétrables.

Le débouché pour le raisin (zone viticole sans appellation, car la ligne des Côtes-du-Rhône s’arrête à 100 m des « frontières du monastère ») était la cave coopérative et, pour les abricots, les grossistes locaux. Circuits sans avenir, même à court terme.

 

L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE

Par conviction, la communauté avait décidé d’emblée de convertir tout le domaine à l’agriculture biologique. Il s’agissait, pour les religieuses, de poser des actes en cohérence avec leur foi, et de respect pour les consommateurs. Amour, émerveillement, respect, telles étaient les orientations fondamentales.

L’acquisition du domaine a relevé du pur miracle pour les religieuses qui le prirent « comme un don de Dieu, et une occasion de faire des choix en accord avec ce que nous sommes avant tout : chrétiennes, membres de l'Eglise qui est Corps du Christ. » L'occasion aussi, « d'ouvrir un chemin qui témoigne d'une vision spirituelle chrétienne de la matière. »

Reste que toutes les religieuses étaient des citadines, et personne ne connaissait ni le travail de la terre, ni le climat de notre région, fait d’extrêmes.

Le passage abrupt en agrobiologie, jointe à un manque de compétence, a entraîné des chutes drastiques de rendement, et, en 1993, la perte de 80 % de la vendange, faute de traiter à temps une attaque de mildiou. Mais le label bio fut acquis…

 

Pierre Rabhi à la rescousse

Pierre Rabhi, leur dira en juillet 1993 : « la Terre, c'est l'avenir ». Ces paroles ont fait écho à leurs intuitions. Pierre conseillera sur la façon concrète de s’y prendre et n’a pas cessé de susciter de l’aide, avec des personnes-ressource qui leur ont peu à peu « appris le métier ».

 

LES CHOIX

Ils peuvent être résumés comme suit :

- Préserver la biodiversité, d’abord par une pratique culturale agrobiologique, à quoi s’est ajoutée au fil des années une action de protection de la zone humide de Solan et des espèces remarquables qui s’y trouvent, notamment l’écrevisse à pattes blanches, qui a déterminé l’entrée de Solan dans le réseau Natura 2000.

- Privilégier les savoir-faire, face à la mécanisation.

- Parvenir à une relative autosuffisance alimentaire et énergétique, non selon un projet d'autarcie, mais dans une recherche de qualité nutritionnelle, diminuant le poids des intermédiaires et privilégiant le territoire vivrier.

- Valoriser les produits du domaine par une transformation effectuée par les religieuses elles-mêmes.

- Commercialiser les produits du domaine localement et en vente directe.

 

Dans le concret…

Depuis 1992, certaines choses ont abouti, tandis que d’autres ont dû être abandonnées – comme la culture du tournesol Perudovik, ou l’arrosage des arbres par amphores selon une technique venant de Tunisie.

 

La vigne

Dès 1995, elles ont enlevé les Aubun. A partir de 2001, progressivement les vieilles vignes sont arrachées et des plantations ont été effectuées : Vermentino, afin de faire du vin blanc (porte-greffe R110), Syrah (porte-greffe 110, clone 174), Grenache (porte-greffe R110), Cabernet franc (porte-greffe 3036). Le Cabernet franc a été choisi de préférence au cabernet sauvignon, à cause de sa meilleure résistance à la sécheresse, et les résultats n’ont jamais déçu : depuis la première vendange, il rejoint toujours l’assemblage des grandes cuvées. Pinot noir (porte-greffe R110) : une toute petite superficie de 8 ares a été plantée en 2008. Devant la finesse du vin obtenu, elles songent à en replanter, pour remplacer ce qui leur reste de Carignan – génétiquement, les variétés sont très apparentées. Merlot (porte-greffe 3036) : 8 ares, datant de 2008, destinés à relever les assemblages, font leurs preuves de puissance et finesse. Une plantation de Clairette blanche (porte-greffe R110) a été faite en 2010.

Les traitements sont faits avec le cuivre et le soufre, elles cherchent à réduire les doses. Des décoctions de prêle, osier, purins de bardane, consoude et ortie, infusions d’achillée millefeuilles et orties sont utilisées. Cette dernière est employée, selon les nécessités, en tisane (insecticide), décoction (fongicide) ou purin (biostimulant). Insecticide et fongicide, efficace contre le mildiou l’huile de sauge est utilisée.

Pour le travail du sol, a été mis en place un enherbement permanent avec des graminées (seigle, orge), des légumineuses (pois, trèfle) et des crucifères (navet fourrager et colza fourrager) destiné également à réguler les rendements par une concurrence au niveau de l’azote.

Des poudrages à la bentonite avant vendange (quand il n’y a plus de menace de mildiou) aident à maintenir le bon état sanitaire du raisin.

Les vendanges sont faites à la main, en caisse, et avec un tri dans la parcelle, afin de n’encuver que des raisins sains.

Depuis 1999, la totalité de la vendange est vinifiée à Solan, avec des vins d’assemblage : les parcelles sont vinifiées à part, et l’assemblage est réalisé plus tard, de sorte que chaque cuvée a son « style », style préservé en modifiant les assemblages d’année en année en fonction des réactions de chaque cépage à la météo et aux mystères de la fermentation.

Seule exception à cette règle, la cuvée « Saint Simon » est toujours un assemblage de Grenache et Syrah. Cette cuvée ne subit aucun ajout de sulfite. La célèbre complémentarité du grenache (à tendance oxydative) et de la Syrah (à tendance réductrice) facilite considérablement cette vinification particulière. La protection qu’apporte le SO2 est obtenue d’une part par les sulfites naturels sécrétés par les levures ; à cette fin, le vin est bâtonné pendant son élevage, et l’autolyse des lies maintient le vin en milieu réducteur, puisque les lies consomment l’oxygène dissous. D’autre part, une mise en bouteille à la fin de l’hiver permet de conserver au vin une partie du CO2 qu’il produit lui-même à la fermentation, et qui le protège également de l’oxydation.

A part la cuvée saint Martin, le vin le plus souple, les autres cuvées sont élevées en barriques, dont le choix varie chaque année en fonction de la matière et de la puissance des vins. Le plus souvent, ce sont des barriques en chêne de la forêt de Darnay, chêne à grain très dense, idéal pour protéger le vin d’un assèchement trop important, en région de Mistral comme la nôtre.

 

Les abricots :

700 arbres à leur arrivée, dont près de la moitié en Précoce de Tirynthe, le reste en Rouge de Fournès, avec quelques Bergerons et Polonais, et quelques Sernhac. Les deux premières variétés étaient recommandées par les chambres d’agriculture il y a une trentaine d’années. Depuis, elles ont été pratiquement exclues du marché des fruits frais. Il fut décidé de repartir à zéro ; à la place, desquels on planta de la vigne. Entre 2002 et 2003, elles introduisirent neuf arbres, à vocation vivrière, dans les allées du potager. C’étaient des Luizet, Rouget de Sernhac (nouveau), Lambertin n°1, Polonais et Rouge du Roussillon.

Entre 2006 et 2007, en vue des fabrications de confitures et pâtes de fruits, quatre-vingt-dix abricotiers seront plantés : Flavor Cot, Bergeron et polonais. Ces dernières variétés, ont dû être surgreffées en 2010, avec des Flavor Cot. Ce choix a été conditionné par des impératifs de production : Le Flavor Cot a l’avantage de produire chaque année, et d’autre part il est bien adapté aux sols du monastère.

Leur principal ennemi, le monilia, est traité au cuivre, de préférence au pulvérisateur à dos, qui est bien plus efficace tout en utilisant dix fois moins de produit qu’un traitement au tracteur, et permet une plus grande rapidité d’intervention.

Quant à la bactériose, elle est traitée sur tous les arbres par un badigeon composé de cuivre, d’argile kaolinique et d’huile blanche.

De façon générale, pour les traitements au cuivre et au soufre, elles essaient généralement de traiter avec du cuivrol car il est enrichi d’oligo-éléments ; pour les abricotiers, elles y ajoutent un peu de bore afin d’éviter la coulure.

 

Les figuiers :

Grande vedette des confitures de Solan après les abricots, environ vingt-cinq arbres ont été plantés en 2005 d’une dizaine de variétés différentes, notamment Goutte d’or de Carpentras (60 %), Pastilière, Figue de Marseille, Dauphine, noire de Carombe, ronde de Bordeaux, grise de saint Jean, col de dame noir, Sultane.

 

Les pommiers :

Huit arbres plantés en 2003 dans les allées du jardin potager (Gala des Iscles, Superose, Grany Smith, Rouge provençale d’hiver, Rambour d’été, Pomme cloche, Reinette clochard et Reinette du Vigan) se sont plu, mais leurs fruits sont souvent véreux et ne se conservent pas en frais. En agriculture biologique, il n’existe que deux solutions à ce problème : la lutte par confusion sexuelle, mais qui ne marche que sur des parcelles d’au moins trois hectares, ou bien simplement une protection mécanique, autrement dit un voilage des arbres. Ainsi, en décembre 2010, trente-quatre arbres ont été plantés dans une parcelle en contrebas du potager. Les variétés sont robustes et autant que possible résistantes à la tavelure qui constitue pour ces arbres la principale menace avec le carpocapse. Ce sont : Canada grise, Reinette brive, Winter banana, Bouscasse de Bresse, Trescleoux, Reinette, Reine des reinettes, Chanteclerc, Melrose, Rouge provençale d’hiver (deux variétés), Doriane, Pitchounette, Fuji, Bournette, Calvi blanche, Calvi rouge, Rouge de Borne et enfin la Grany Smith pour assurer la pollinisation.

Avec les arbres en production, les religieuses font de la compote, pour leur consommation mais aussi, depuis 2011 où la production excédait les besoins, pour la vente.

 

Les cerisiers

En arrivant, elles avaient 30 arbres, de Bigarreaux Napoléon blanche. Les cerises partaient à la conserverie. De cette vieille variété restent quelques arbres qui donnent de quoi faire quelques conserves.

Afin d’avoir des cerises plus goûteuses, et non véreuses, les religieuses ont planté en 2008 six Burlat, car le fruit est précoce et arrive à maturité avant que la mouche n’effectue son cycle, ainsi que deux Reverchon, pour assurer la pollinisation.

La mouche et la bactériose sont traitées avec un badigeon à l’automne (cuivre – argile kaolinique –huile blanche)

 

Les oliviers

Une petite oliveraie plantée en 2005-2006 (120 Aglandaou et 20 Picholine, qui se pollinisent mutuellement, ainsi que 6 Tanche, offerts par le pépiniériste Jean Rey), est destinée à la production d’huile et d’olives de table, d’abord pour l’autoconsommation puis pour la vente. Pour éviter la verticiliose, le sol n’est pas travaillé en profondeur afin de ne pas blesser les racines. Et la redoutable mouche de l’olive est repoussée par des traitements à l’argile kaolinique.

 

Et encore…

Pruniers, plaqueminiers, cognassiers, noisetiers, amandiers, noyers… complètent cet éventail. Certains servent à la fabrication de confitures ou pâtes de fruits, d’autres sont consommés, frais ou en conserve, par la communauté et ses hôtes.

 

En guise de conclusion d’une affaire qui n’est jamais conclue…

Nos religieuses (à qui je dois la base de ce texte) nous disent : « Nous restons des apprentis, à l’écoute de notre terre, recevant humblement les leçons qu’elle nous donne, et acceptant avec gratitude les fruits dont elle nous gratifie. Les aléas du climat, les difficultés de ce travail qui demande tant d’abnégation, tous les efforts prennent du sens quand nous contemplons l’harmonie et la beauté de cette création dont, selon la Genèse, l’homme doit être le gardien attentif et aimant. »

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas ce que nous avons ressenti dans la visite que nous avons fait de leur terre avec Christian Sunt. Disons même ici qu’il serait souhaitable que beaucoup d’agriculteurs professionnels en connaissent autant ; cela leur éviterait d’écouter (qualificatif méchant) les conseils de techniciens agricoles formés par les producteurs de produits phytosanitaires et autres engrais chimiques…

Dominique Garrel

Pour aller plus loin : Thierry Delahaye, Le Monastère de Solan, une aventure agroécologique, Actes Sud,  2011, 160 pages, 60 illustrations couleur.