Chronique du temps qu'il fait et des saisons, des dictons, fêtes et traditions : Histoires de cloches
   04/04/2023
Chronique du temps qu'il fait et des saisons, des dictons, fêtes et traditions : Histoires de cloches

Histoires de cloches

Les cloches vont carillonner ce jeudi 6 avril, Jeudi Saint, aux clochers de nos églises, puis se taire par signe de deuil, célébrant la mort du Christ en croix puis sa résurrection au matin de Pâques dans la clarté du Printemps et du soleil levant. Signe d’Espoir et d’une vie nouvelle. Non elles ne sont pas parties à Rome et ce ne sont pas elles qui vont nous ramener les œufs de Pâques que nos enfants vont aller chercher dans les jardins, n’en déplaise à certaines traditions dont on a oublié les fondements. Cette tradition des « œufs de Pâques » est étroitement liée au Carême, période pendant laquelle - régime végan avant l’heure - on ne consommait pas d’œufs. D’où l’utilisation importante des desserts à base d’œufs juste avant cette période le mardi-gras, puis les œufs de Pâques, après le jeûne, notamment le « lundi de l’omelette », « lundi de Pâques ».

Voici un extrait du texte d’Eric Sutter sur cette histoire des cloches au moment de Pâques. « Au VIIIe siècle, dit Arnold Van Gennep dans son ouvrage de référence « Le Folklore français », on cesse de sonner les cloches (ainsi que les clochettes d'autel), afin de commémorer dans le recueillement cet événement fondateur de la religion chrétienne, la mort et la résurrection de Jésus. (La règle demeure imprécise dans les coutumes monastiques du IXe siècle. C'est à la fin de ce siècle que le codex rédigé au Mont Cassin fixe l'interruption, avec remplacement des cloches de métal par des instruments de bois, des complies du Mercredi Saint à la messe tardive du Samedi Saint. Le début de l'interruption varia selon les régions chrétiennes et selon les monastères. L'uniformité de la coutume ne commença de s'établir que vers la fin du XIIe siècle. (D’autres sources indiquent l'interdiction de sonner les cloches date seulement du Concile de Trente, en 1542)

L'apôtre Mathieu écrit qu'au moment où Jésus mourut, il se produisit des phénomènes terrifiants. C'est pour rappeler cet événement que le son des cloches a été remplacé, pendant de nombreuses années, par le bruit des « instruments des ténèbres » (claquoirs, crécelles, martelets...). Aux offices, dès le Jeudi Saint, la crécelle ou le claquoir remplace la sonnette d'autel. Pour annoncer les différents moments de la journée, l'angélus, les offices religieux, les crécelleurs (le plus souvent les enfants de chœur) passent dans toutes les rues du village en faisant tourner leurs crécelles et crient : « C'est l'angélus... » ; chaque appel est ponctué d’un tour de crécelle. Quand les cloches reprenaient du service lors de la nuit pascale, les crécelleurs cessaient le leur ! Ils faisaient ensuite le tour du village, allant de porte en porte pour quêter œufs, frais ou en sucre, ou des pièces de monnaie.

Pour être certain que la règle d'interruption de sonner les cloches soit respectée, il était courant que le curé demande au sonneur de relever les cordes dans le clocher ! »

Dans mon village cévenol, on envoyait les enfants de chœur aux sorties du village en direction des hameaux dispersés dans la vallée pour qu’ils actionnent ces crécelles annonçant les heures des cérémonies. C’était toujours pour les enfants un grand sujet d’amusement ! On se disputait pour savoir qui sonnerait les clochettes, puis pour savoir qui serait désigné pour actionner la planchette de bois, la crécelle ou le claquoir pendant le reste de la cérémonie du Jeudi-Saint après le Gloria de la messe et le silence imposé aux cloches.

« Selon Van Gennep, les succédanés en bois des cloches employées en France pendant la période de Ténèbres peuvent se répartir en sept types :

le martelet : planchette munie d'un manche sur laquelle vient frapper alternativement d'un côté et de l'autre un petit maillet ;

la crécelle : roue dentée montée sur un manche et sur laquelle vient frapper une lamelle en bois flexible ; c'est un moulinet de caractère rotatif ;

le batelet : combinaison des deux précédents, dit aussi écalette ;

le claquoir : planchette sur laquelle est fixée une poignée qui frappe alternativement à droite et à gauche, grâce à un léger mouvement de la main ;

le livre : formé de deux planchettes reliées au sommet et qu'on fait frapper l'une contre l'autre ( j’en possède un à la maison ! ) ; c'est le principe des castagnettes ;

la matraca : planchette munie d'un manche contre laquelle viennent frapper deux autres planchettes sur charnière (usitée surtout en Espagne) ;

un instrument constitué par de nombreuses planchettes trouées maintenues par une ficelle ou un fil de fer...

A noter que certains types de crécelles fixes peuvent mesurer plusieurs mètres de long ! Van Gennep consacre de nombreuses pages de son ouvrage à l'usage de ces instruments dans les différentes régions françaises. Nous n'entrerons pas dans le détail ici.

« La coutume de faire sonner les cloches à Pâques est ancienne et liée au souhait très humain de faire du bruit, lorsque c'est la fête, particulièrement la fête du printemps. La sonnerie des cloches annonce « l'accouchement printanier » de la nature. (Dans la Rome classique, la superstition voulait qu'on fasse tinter une cloche près d'une femme en train d'accoucher pour écarter les mauvais esprits et favoriser une naissance faste.)

L'Eglise « récupère » les fêtes de printemps païennes, comme les autres fêtes, pour marquer le rythme liturgique. Ce n'est que dans la nuit du samedi au dimanche de Pâques que les cloches carillonnent pour annoncer la joie de la résurrection du Christ. La cloche est un des symboles forts de cette fête chrétienne.

Pâques marque aussi la fin du Carême. Autrefois, les œufs étaient engrangés pendant cette période et souvent conservés dans l'eau de chaux ou d'autres manières. On les ressort pour les festivités.

C'est ainsi qu'est née la légende. »

« Pour expliquer l'absence de sonnerie pendant cette période, on a dit longtemps aux enfants que les cloches partaient à Rome. Mais pour des raisons aussi diverses que nos régions : pour aller chercher leurs œufs bien sûr, mais aussi pour déjeuner avec le Pape dit-on en Lorraine mosellane, pour se faire bénir affirment les habitants de la Bresse, pour se confesser assure-t-on dans l'Isère, ou même pour aller y manger de la tomme (fromage) trouve-t-on dans certains contes... Pour le voyage, les cloches se munissent d'une paire d'ailes, de rubans ou (parfois) sont transportées sur un char.

Des superstitions restées vivaces dans les campagnes avant le VIIe siècle, poussent les agriculteurs à voir dans le ciel des cloches « brillantes et rougeoyantes ». De nombreux paysans affirment en avoir vu filer au-dessus de leurs champs en faisant entendre un bourdonnement. En 587, Grégoire de Tours notait :  « Nous vîmes pendant deux nuits de suite, au milieu du ciel, une espèce de nuage fort lumineux qui avait la forme d'un capuchon. »

On a dit longtemps aux enfants qu'elles revenaient chargées de friandises et, en battant à toute volée, qu'elles les déversaient dans les jardins et les prés, sur les balcons des appartements. Le folklore varie selon les régions. Une promenade des enfants est organisée hors du village pour guetter leur passage et la chute des œufs. Mais leur vol est si rapide que personne ne les aperçoit. D'ailleurs, elles ne se montrent qu'aux enfants qui ont été très sages. Combien d'enfants regardèrent dans le ciel et ne virent jamais ces fameuses cloches de Rome ! Une mystérieuse chasse aux trésors s'organise néanmoins au petit matin de Pâques et fait la joie des petits et des grands.

Si dans tous les pays de culture chrétienne on trouve la tradition des œufs de Pâques, ils ne sont pas apportés aux enfants de la même manière... Le rôle de la cloche dans le transport des œufs se rencontre essentiellement en France ou en Italie. Au Tyrol, il s'agit d'une poule ; en Suisse, d'un coucou et dans les pays anglo-saxons un lièvre. Le lièvre — ou le lapin — symbolise l'abondance, la prolifération et le renouveau. C'est en Allemagne et en Alsace, vers le XVe siècle, qu'on associa pour la première fois le lapin (blanc) de Pâques avec les œufs de Pâques pour célébrer le printemps. »

Cette légende est une source d'inspiration pour les illustrateurs ou dessinateurs.

L'illustration ancienne la plus connue évoquant le voyage des cloches est probablement la gravure de Grandville (1803-1847) intitulée Le Voyage des cloches à Rome. Cet illustrateur, né à Nancy, de son vrai nom Jean Gérard, monta à Paris à l'âge de 23 ans. Il se rendit célèbre peu de temps après avec ses caricatures d'hommes à têtes d'animaux. Entre 1835 et 1847, il fournira des centaines de dessins aux éditeurs.

Une autre illustration connue est celle qui a fait la couverture du supplément illustré hebdomadaire au quotidien Le Petit Journal du dimanche 2 avril 1899, n°437, et qui représente deux anges ailés transportant une cloche dans le ciel, avec au lointain un village et la silhouette de la basilique Saint-Pierre de Rome (légende : « Pâques. Le retour des cloches ») ; dessin signé du célèbre illustrateur et graveur parisien Fortuné Méaulle (1844-1901).

Quelques cartes postales du début du XXe s. évoquent également ce voyage à Rome dans les airs, avec la représentation de cloches généralement ailées (figures de H. Manuel, notamment). Les cartes illustrées modernes se limitent à associer des cloches très stylisées à des œufs colorés. Globalement, sur l'ensemble des cartes postales ou cartes illustrées éditées à l'occasion des fêtes de Pâques depuis un siècle, les cloches sont beaucoup moins fréquemment représentées que les œufs.

On retrouve le thème graphique de la cloche, avec celui des œufs, sur les emballages des confiseries vendues au moment de Pâques.

A Rome, envolez-vous, divines messagères,

Au Saint-Père affirmez notre constante foi

L'Homme méchant, en vain, sous une injuste loi

Veut incliner nos fronts, proscrire nos prières.

 O cloches, au retour, ramenez l'espérance

Aux fidèles chrétiens vaillants dans la souffrance

 

(Anonyme, sur une image pieuse éditée vers 1900)

.

Il n’y a pas de cloches que pour Pâques même si ce dimanche 9 avril on va encore entendre les cloches à grande volée. Bonne occasion de dire quelque chose sur les sonneries des cloches dont on a oublié le côté pratique. Leur sonnerie n’est en effet pas limitée aux seules cérémonies religieuses. De tous temps les sonneries des cloches ont rythmé notre vie et rythment encore de grands moments de notre existence.

Il y a tant à dire sur les cloches et sur leurs différentes sonneries qui rythment les vies de nos villes et de nos campagnes ! (au moins 61 800 références quand on fournit les mots clés « Cloche, Pâques, Rome » au moteur de recherche Google !)

Si vous avez du temps lisez sur internet l’excellent article d’Eric Sutter, Président de la Fédération des Fondeurs de cloches publié en 2006 : « Code et langage des sonneries de cloches en occident » sur http://campanologie.free.fr/

Comme aux heures sombres de notre histoire, à la déclaration de guerre en août 1914, les cloches de nos églises ont sonné pour commémorer ce moment en sonnant à nouveau en août 2014.

(Ecoutez le tocsin puis le plenum le 1er Aôut 2014 à la Cathédrale Saint Pierre de Montpellier : https://www.youtube.com/watch?v=A-8sV9DnECg)

A la Libération en août 1944 les cloches de toutes les églises ont sonné.

Après les attentats de 2016, les cloches de toutes nos églises de France ont sonné.

En avril 2019 elles ont sonné en  signe de soutien au terrible drame qui a frappé la Cathédrale Notre Dame de Paris. (cloches de la Cathédrale  d’Uzès  https://www.youtube.com/watch?v=3lB81hsYmCg

Le 25 mars en 2021 elles ont sonné pour signifier au peuple de France que ce que nous vivons avec la pandémie était un évènement particulièrement grave.

Appel à la prière, appel à la méditation, appel au recueillement.

Nos cloches continueront de sonner, pour annoncer les cérémonies religieuses ou pour un évènement particulièrement grave qui marque notre quotidien ou les grands moments de notre histoire.  

Bien plus qu’un appel à une cérémonie religieuse, les cloches continuent de sonner aux beffrois de nos villes du Nord, à nos campaniles du Midi, ou à nos tours de l’Horloge, pour rythmer le temps qui passe !

Sans parler du tocsin et du couvre-feu, désormais revenu d’actualité et annoncé par les sirènes.

Au cours des siècles ces sonneries de cloches ont pris de telles dimensions qu’elles sont souvent à l’origine du nom d’une cloche ou d’une sonnerie.

Sonnerie de l’Angélus bien sûr qui rythme la vie des paysans dans nos campagnes, mais aussi sonnerie horaire, sonnerie du « couvre-feu » appelée parfois « Salve »« tocsin », sonnerie pour l’abandon d'un enfant.

« Glas » (annonce d'un décès) sur une façon de sonner qui permet de savoir si on enterre un homme ou une femme.

En dehors de nos églises il y a bien d’autres sonneries de cloches : « Cloche de la Bourse » et du palais Brogniard, « cloche du Marché », ou cloche des Halles à Paris, « La poissarde » à Beauvais ; « Messglocke » à Colmar ; ; « cloche du Tribunal » ; cloche du président de séance d’une assemblée ; cloche des marins, « cloche de quart », « cloche de brume ».

« Zenergloke » à Strasbourg ou « cloche des Juifs » ;  « Bürgerglocke » à Neuwiller lès Saverne ;

« Noguette » à Saint Malo et à Dinan ; « S’Lumpaglocke » à Ribeauvillé et aussi « Ratsglocke » et « Brennglocke ;« la Cloc'h An Comun » à Quimper.

« Cloche des écoles » annonçant la récréation ; « Cloche des usines » annonçant l’heure de prise ou de fin du travail.  

Carillon de nos beffrois du Nord ; sonnerie du « Ratire-coquin » à Saint Lô. « Nadalet » des carillons du Midi ;  « aubette » ; « cloche des sacristies » et « cloche de Chœur » de nos églises ; et tant d’autres !

Cloche de ND de Bonheur sur l’Aigoual qui avait la vocation de permettre aux voyageurs perdus dans le brouillard de retrouver son chemin.

Et quand la nature reprend le dessus ! Quand l’orage détruit les installations électriques et quand l’eau des torrents gardois détruits les systèmes d’alerte d’inondation, on fait quoi ? Mr le Maire d’Aramon en septembre 2002, l’électricité ne permettant de faire fonctionner les systèmes d’alarme, n’a eu comme seule ressource que de demander au père Curé d’aller sonner le tocsin à l’église. Mais on fait comment sans électricité ? et sans corde ? pour sonner une cloche… et qui sait comment sonner le tocsin ? (sonnerie à coups pressés et redoublés au rythme de 90 à 120 coups par minute à l’aide du battant tiré par une corde ou d’un martelet)

Autant d’évocations qui pourraient faire l’objet d’une chronique encore plus détaillée notamment pour répondre à tous ceux qui s’insurgent contre le chant matinal des coqs et  sur les sonneries des cloches ! sans d’ailleurs se poser la question des sonneries intempestives à tous moments de la journée de nos téléphones portables !

Vous comprendrez donc aisément que je préfère pour conclure cet article, citer ce si beau chant de l’Angélus de la mer, plutôt que « Maudit sois-tu carillonneur » !

 Voici l’heure où là-bas le vieux clocher s’éveille

Et chante au matin clair !....

Entendez-vous ? Dans la brise qui jase

Tinte l'écho des cloches du pays,

Les flots joyeux que la lumière embrase

Ondulent plus blonds que les blonds épis...

Au loin c’est l’Angélus.. !

 

Chanson « L’angelus de la mer » d’ André Baugé, interprétée notamment par Armand Mestral

Bonnes Pâques. Rendez vous pour la chasse aux œufs. Gardez-vous bien en bonne santé ! Soyez à Dieu ! Addissias !

Jean Mignot le 4 avril 2023