Chronique du temps qu’il fait et des saisons, des dictons, fêtes et traditions
Par Jean Mignot
Du mois de décembre 2022
Avec le mois de décembre nous entrons dans la période « calendale » rythmée par les traditions de fin d’année qui précèdent ou suivent la fête de Noël. Blé de Noël, Saint Barbe, Saint Nicolas, Sainte-Luce, Crêches et Santons, Gros Soupa et Treize Desserts, Veillée de Noël, gâteau des Rois, Chandeleur, autant de sujets que j’ai souvent développé dans mes chroniques des années précédentes.
Mais pourquoi « calendale » ? en effet les calendes étaient le premier jour du mois des Romains. Il n’y a pas des calendes qu’en décembre ! par contre au passage il faut dire que malgré l’expression bien connue « renvoyer aux calendes grecques », il n’y a jamais eu de calendes chez les Grecs ! Cette expression signifie qui « repousser définitivement », revient à la « Une » de l’actualité avec les promesses de nos gouvernants. Nous aurons à coup sûr un bon exemple de ces déclarations avec leurs voeux cette année encore !
Pendant ce temps le soleil continue de briller pour tous et le rythme de sa course nous amène à un peu d'humilité face à la Création ! Et nos traditions perdurent, n'en déplaise à quelques décisions laïcardes et d'arrière-garde ! Sinon il faudrait tout changer !
J’ai souvent, et même longuement, parlé de décembre et des fêtes de fin d’année, et des ajustements et réformes des calendriers à travers les siècles, de la course du temps et des essais pour les mesurer, à des fins souvent pratiques. J’ai parlé du temps qui court, qui va et qui conditionne notre vie quotidienne sans qu’on arrive à bien le prévoir ni encore moins à le maîtriser.
« Calendrier », « almanach », « agenda », autant de mots que nous employons en ces temps de fin d’année et d’année nouvelle, sans avoir la moindre idée de leurs origines et des calculs savants qui tous nous rappellent que depuis la nuit des temps les peuples ont tenté de trouver un système de référence commun et cohérent qui permette de gérer notre temps en lien avec la course de la terre autour du soleil, à la durée du jour et de la nuit, et au cycle de la lune autour de nous. Sans compter tous les proverbes ou dictons et autres expressions qui au fil des siècles ont pris naissance dans les observations et l’imagination de nos ancêtres.
Tout au long de ce mois de décembre tout particulièrement, nous allons utiliser ces mots et ces expressions qui sont autant de rappels de ces préoccupations, à l’origine parfois de traditions, us et coutumes dont il me semble plus que jamais nécessaire de donner quelques explications dans cette nouvelle chronique.
Les calendes dans le calendrier romain étaient les premiers jours du mois. Elles nous ont laissé le mot calendrier. A Rome, le début du mois était de la plus grande importance car ce jour-là, les pontifes annonçaient les dates des fêtes mobiles du mois suivant et les débiteurs devaient payer leurs dettes inscrites dans les calendaria, les livres de comptes, à l'origine du mot calendrier. Aujourd’hui la fin de l’année marque le même genre d’échéances.
« Calendrier » d’abord. C’est le mot le plus universellement employé. Ce n’est pas la même chose qu’un « agenda », qui lui, est de création plus récente. Son étymologie est dans le verbe « agir ». C’est, nous dit Littré, « le petit livret destiné à noter les choses que l’on doit faire. » et ce n’est pas un « almanach ». Je n’écrirai rien de plus sur « agenda ».
« Almanach », est un mot plus ancien. C’est un développement du calendrier. De façon générale, un calendrier est un système élaboré par les hommes pour recenser les jours, et ainsi mesurer les grands intervalles de temps. Il s'agit d'un ensemble de préceptes destinés à fonder une chronologie commode pour régenter la vie économique, les voyages, la vie politique (élections et renouvellement des pouvoirs), impôts. ! régler les fêtes religieuses (et pas que les fêtes chrétiennes !), donner des indications et conseils pour l’agriculture et les récoltes, etc.. Dans le choix des critères de construction des calendriers, les rythmes nous sont imposés par les principales manifestations des phénomènes astronomiques ; succession des jours et des nuits, cycle saisonnier, retour des phases de lune, etc…Depuis que l'homme s'applique à compter les jours, il a généré plus de 100 calendriers différents. À côté de cette préoccupation permanente, le besoin s'est fait sentir de définir des chronologies plus techniques dans des domaines variés nécessitant l'enregistrement et la comparaison d'événements éloignés dans le temps :Histoire, Astronomie, Archéologie.
Un almanach c’est différent. Eusèbe de Césarée (IVe siècle ap. JC) nous dit que l’étymologie d’almanach viendrait de l’Égypte, du copte, « al » « calcul » et « men » : « mémoire ». D’autres écoles voudraient que l’origine du mot soit dans l’article « al » et le mot hébreu « manah » : « compter ». Que contient un almanach ? En 1791, L’éditeur canadien Samuel Neilson décrit ainsi la composition des almanachs canadiens de son époque :« Les matières qui doivent composer un Almanach ont toujours varié dans tous les païs, et semblent en quelque sorte arbitraires ; cependant tout le monde convient qu’il doit consister principalement d’un Calendrier pour la mesure du temps, lequel dépendant du mouvement des astres, fait consister un Almanach autant de la science de l’Astronomie qu’il est nécessaire pour régler les affaires humaines. Mais cette institution semblable à la plupart des autres, a été de temps à autres jugée susceptible d’amélioration, et l’on a cru que l’on pourroit procurer au public un avantage particulier, en rendant son utilité plus étendue, ce qui est depuis devenu l’objet commun des Editeurs et acheteurs. L’Astronomie, autant qu’elle concerne la mesure du temps, formant le fond d’un Almanach, les objets relatifs à cette science, sous un point de vue plus étendue, et poursuivis par d’autres motifs, en ont très à propos formé le second sujet, qui n’est pas la partie la moins intéressante d’un Almanach. On a approprié très judicieusement une autre partie à des objets d’une utilité publique, tels que de courtes esquisses de vérités politiques, morales et scientifiques. On a aussi introduit de temps à autres des objets de simple amusement. Dans la plupart des païs les Almanacs ont servi d’une espèce de régistres publics, contenant les noms des fonctionnaires publics de toutes dénominations du païs où l’on se proposoit de les faire circuler. Et enfin les objets d’une importance locale relatifs principalement aux affaires publiques de ce païs. »
Cette description peut parfaitement être celle des almanachs français. Pour résumer, un almanach doit obligatoirement comporter le calendrier de l'année à venir, dans la plupart des cas accompagné d’une éphéméride sur lequel figurent les positions du Soleil (lever, coucher...) et de la Lune (lever, coucher, phases...), les dates des éclipses, etc. Il peut contenir d'autres informations aussi variées que nombreuses. Elles tiennent certainement des modes et pôles d'intérêt de l'époque. Elles sont aussi un peu l'image de marque de tel ou tel almanach. C’est ainsi qu'on va y trouver des indications météorologiques, agricoles, médicales, culinaires, des maximes, des bons mots, des informations pratiques comme les dates et heures des marchés, fêtes, foires, lieux et heures de départ des courriers ou des diligences, etc. Le célèbre calendrier des postes devenu « almanach du facteur » donne même non seulement les heures de lever et de coucher de la lune et du soleil mais aussi des indications très précieuses et souvent proches de la réalité, sur le temps qu’il va faire… probablement.
Il faut bien le comprendre, les almanachs ne sont pas apparus par hasard. Ils sont le fruit d'un besoin, celui d'apprendre. Les almanachs vont devenir, à partir des XV ème-XVI ème siècles, les instruments essentiels de la popularisation et de la vulgarisation du savoir. Ils vont aider le commun des mortels à s'y retrouver dans un calendrier "classique" qui ne manque pas de complexité, durée des mois de l'année, lettre dominicale, jour des principales fêtes, calcul de la date de Pâques. Il ne faut pas oublier que, jusqu'au premier quart du XVI ème siècle, les jours de l'année ne sont pas systématiquement numérotés. N'oublions pas aussi que la création et la diffusion des almanachs est très liée à l’invention de l’imprimerie en 1454. Cela peut aussi expliquer qu’en l’absence de références, nos Anciens aient créé des dictons ayant trait au temps, en se référant aux fêtes des saints du jour ? Les fêtes carillonnées marquaient le rythme de vie de nos villes et nos campagnes et étaient le seul moyen de se référer à du concret. Il y avait bien les missels et bréviaires qui existaient avant l’imprimerie mais étaient limités à un petit nombre et n’étaient pas imprimés.
Le célèbre « Calendrier des Bergers » que je cite souvent, publié par Guiot-Marchand, date de 1485. L’ « almanach de Liège » de Mathieu Laensberg date de 1650. Le célèbre « almanach Vermot » est plus récent. La première édition date de 1886. C’est un vrai petit musée des traditions et d’un humour populaire souvent critiqué. Un calembour emblématique de sa tournure d'esprit a été publié sous un dessin de Henriot dans l'almanach de 1896, à la page du 11 septembre ; il s'agit du fameux : « Comment vas-tu… yau de poêle ? ». Cocardier, misogyne, colonialiste et bien d'autres qualificatifs lui ont été associés ; le Vermot a été critiqué pour son humour parfois peu raffiné. Selon Henri Jeanson, l'almanach finissait souvent par être « lu d’un derrière distrait », dans la petite cabane au fond du jardin. Il est sans nul doute une des facettes de la culture populaire française. Après la mort de son fondateur, Joseph Vermot, en 1893, la publication de l'almanach a été poursuivie par son fils Maurice. Ce dernier cède l'almanach à Georges Ventillard en 1933. Depuis 2008, le titre, racheté aux Publications Georges Ventillard, est édité par Hachette Livre. L’« Armana Prouvençau » si riche de nos parler du Midi et de nos traditions date lui de 1855. Il est toujours publié de nos jours. Je limiterai mon propos à ces publications parmi les plus connues. Il y en a d’autres ! Sous l’Ancien Régime on trouve « l’almanach royal » publié chaque année sous l’Ancien Régime. C’est un recueil où l’on consigne quantités d’éléments, qui va des listes des régiments – trésor pour les généalogistes- auxrecettes de cuisine aux conseils pour jardiner, selon la lune ça va de soi. Rappelons-nous Mr Jourdain qui veut savoir quand il y a de la lune ou pas ! C’est bien plus tard, en 1810, qu’on verra apparaître l’ « Almanach des Postes », devenu en 1880 l’« Almanach des Postes et Télégraphes », puis en 1945 l’« Almanach des PTT » et en 1989 l’ « Almanach du Facteur ». A ce sujet voici quelques précisions car on a aucune idée de ce que représente cet Almanach du Facteur. En 1849, François Charles Oberthür, un alsacien, obtient un premier contrat pour imprimer cet almanach. Contrat renouvelé en 1853 et 1857 avec achat du monopole pour cette publication, avec des obligations de contenu très strictes. Aujourd’hui la maison Oberthür détient encore la majorité (40 %) des droits de tirages des 8 à 10 millions d’almanach du Facteur diffusé en France. Les autres imprimeurs sont Oller, Lavigne et Cartier-Bresson. Il s’agit d’une affaire qui selon des estimations difficiles à contrôler serait de l’ordre de 100 millions d’euros. Un Almanach revient actuellement à 1.81 ou 1.82 e pour un rapport d’environ 10 à 20 e. L’objectif, au lancement de l’opération, était d’arrondir les fins de mois, puis de compenser une prime de fin d’année ou même un treizième mois. Cette opération toujours en activité reste à l’initiative personnelle des facteurs, avec l’accord tacite de leur direction.
Calendrier, Almanach, et pourquoi pas « chronique » ? C’est encore autre chose… ! Littré nous dit que « la chronique c’est ce qui se débite par de petites nouvelles courantes, qui peuvent avoir plusieurs sujets : chronique de l’histoire, chronique d’un lieu, ou du temps… » L’étymologie de chronique étant dans le latin « chronica » ou du grec « chronos » : « qui appartient au temps ». Les principales difficultés pour l’établir sont liées au fait que la révolution de la terre autour du soleil a une forme elliptique et que la terre est ronde, tournant sur elle-même, sur un axe incliné. Il est donc difficile de prendre un seul et unique point de référence. De plus, on s’est aperçu bien vite que le cycle de la lune et du soleil n’avait pas la même durée et c’est Méton, qui au siècle de Périclès, découvrit (ou emprunta aux Babyloniens ?) le fait que 19 années solaires contiennent 235 lunaisons, et donc qu’à l’issue de ce cycle, les phases de la lune reviennent pratiquement aux mêmes dates. C’est ce qu’on appelle « le cycle de Méton ». Cette découverte, a une importance capitale pour la compréhension des dictons et proverbes du temps. Ces dictons sont liés la plupart du temps aux fêtes des saints qui sont, elles, à date fixes. Or d’après Méton la lune n’est pas toujours à la même place aux mêmes dates. Donc les prédictions d’un dicton ne sont pas valables chaque année. Comme on sait l’influence de la lune, sur le temps, cette influence sera « tempérée » selon sa position dans le ciel, selon que la lune est croissante ou décroissante, lune nouvelle, pleine lune ou vieille lune et que sa courbe dans le ciel est montante ou descendante. D’où l’importance, comme le faisait Monsieur Jourdain de savoir le calendrier et de connaître quand il y a de la lune ou quand il n’y en a point !
Depuis que l'homme s'applique à compter les jours, il a généré plus de 100 calendriers différents qui sont bien connus des spécialistes. Mais les plus fréquemment et largement usités sont le calendrier « Julien » qui a été appliqué le plus largement dans le monde de l’an 46 av JC à 1582, et le calendrier « Grégorien » depuis cette date. C’est celui qui est la référence la plus sûre de nos jours car la plus proche de la réalité de la course du temps et des saisons. Les autres calendriers sont décalés par rapport au temps s’ils se réfèrent seulement au cycle lunaire, comme le calendrier musulman qui est « hors saison » parce que le départ du Prophète pour l’exil, « l’hégire », ce qui marque le départ de l’année musulmane, eut lieu en plein été, le 16 juillet 622 du calendrier alors en application, à savoir le calendrier julien. Fêter cet anniversaire en plein hiver est bien hors saison ! Quant aux autres calendriers ils ont des jours ou des mois de compensation pour rattraper les décalages, comme le calendrier chinois.
On ne peut rester qu’en admiration face aux calculs qui au cours des siècles ont permis d’établir les différents calendriers avec des précisions extraordinaires, uniquement établies sur des observations alors que nos techniques modernes et hyper sophistiquées restent encore incapables de prévoir les grandes catastrophes qui nous ont frappé ici et là ces dernières années.
Mais si je vous partage mon admiration face aux différents calendriers et à leur évolution je reste pantois quand je lis qu’une respectable commission européenne fait une proposition de supprimer purement et simplement le mot « Noël ». Peut-être faudrait-il communiquer à ses membres ma chronique de l’an dernier où je rappelais l’étymologie du mot « noël » et son origine liée au renouveau du jour plus long que la nuit, au soleil qui reprend sa course, aux jours qui deviennent plus long après le solstice, aux fêtes du Sol Invictus des romains ? et d’autres croyances préchrétiennes, et bien des syncrétismes. Peuvent-ils ignorer que la naissance du Christ a d'abord été fêtée au printemps, puis en janvier pendant les trois premiers siècles de la Chrétienté. Ainsi, Clément d'Alexandrie, mort vers l'an 220, plaça la Nativité au 18 avril ; d'autres au 25 mars ; Saint Epiphane, mort en 403 au 6 janvier ; La naissance du Christ à Bethléem fut officiellement fixé en 354 par le pape Libère (ou Liberus) au 25 décembre qui, à l'époque, était la fête du solstice d'hiver. Le choix du 25 décembre pour Noël traduit pour une église chrétienne qui vient d'être officialisée religion de l'Empire, une volonté de syncrétisme en associant le culte païen du Soleil invaincu à la naissance de Jésus. D’ailleurs lorsque le Pape à Rome imposa le 25 décembre comme date officielle de la venue au monde de Jésus, les églises d'Orient protestèrent contre cette « superstition », « cette fête païenne et idolâtre » et refusèrent de la célébrer. Jusqu'au VIe siècle, à Bethléem et à Jérusalem, la fête de Noël fut célébrée à une autre date que le 25 décembre, le 6 janvier, date qui est restée celle du Noël des Arméniens. Le 6 janvier semble bien être également le symbole d'un syncrétisme avec les cultes de l’Orient. Cette date correspond pour la Grèce à la fête de Dionysos, dieu de la vigne et du vin et en Egypte, on célébrait la naissance de l'enfant de la déesse Isis, incarnation du Soleil renaissant. Les orthodoxes fêtent aujourd'hui Noël le 7 janvier. Certes c’est pour imager et sublimer tout cela qu’en l’an 354 les chrétiens ont décidé de fixer la date de la naissance de Jésus. L’image est trop belle de fêter en ces jours la naissance de Celui qui apporte la lumière au monde. Un monde nouveau. Laissons donc Noël aux Chrétiens qui célèbrent en ces jours la naissance de Jésus, et fêtons ensemble le renouveau, la vie et la lumière, en famille, aux approches du solstice d’hiver qui sera cette année le 21 décembre (mais le 22 décembre en 2023 !). Et qu’ils s’occupent de vrais problèmes !
Sur le registre d’une chronique, comme celle-ci je ne peux m’empêcher de rappeler deux anecdotes historiques au sujet des calendriers. Elles montrent combien ces recherches de références communes que sont les calendriers, n’ont pas échappé aux manipulations perverses. Quand il s’est agi de mettre en application le calendrier « julien » ceux qui étaient chargé de cela, - on les appelait « les Pontifes » - mirent toute la mauvaise volonté possible pour ne pas appliquer les nouvelles règles. Au temps des Romains les pontifes étaient des prêtres chargés de la bonne observance des pratiques religieuses et globalement de fixer les dates des fêtes qui allaient rythmer la vie des romains. Leur nom vient probablement du fait qu’ils étaient chargés de l'entretien du pont sacré, le pont Sublicius le plus ancien pont de Rome. Aujourdhui le terme pontife est plutôt lié à la religion chrétienne. Certes la réforme de Sosigène d’Alexandrie faire à la demande de Jules César était d’une grande nouveauté et très complexe. Mais elle touchait aux privilèges de ces pontifes et peut être aussi aux avantages qu’ils pouvaient tirer de leur position dominante. Ils firent tant et si bien que l’année de la mise en applications du nouveau calendrier, soit l’an 45 avant JC, dura 445 jours. C’est de tout temps que les reformes ont été difficiles à mettre en place. Et pas seulement en France !
En 1582 quand le Pape Grégoire fit faire une nouvelle réforme, celle du calendrier « grégorien », on rencontra des difficultés presque du même ordre. Il s’agissait d’imprimer le nouveau calendrier conçu par deux savants, Clavius et Lilio. Grande affaire cette opération d’imprimer le nouveau calendrier ! et rentable ! puisque l’objectif était de bien communiquer les tenants et aboutissants de la réforme pour arriver à une application la plus large possible et obtenir un consensus pour faciliter relations et gouvernances. Le Pape avait concédé au frère de Lilio alors décédé, et à ses héritiers, le privilège d’imprimer le nouveau calendrier et de le vendre ! La sollicitude pontificale était allée jusqu’à demander au Roi de France Henri III semblable privilège pour 10 ans. Mais Antonio Lilio n’était pas un homme pressé. Alors tout se compliqua. Non seulement selon Kepler, les pays protestants « préféraient entre en désaccord avec le soleil plutôt que d’être d’accord avec le Pape de Rome, » - de fait il semblerait que cette citation soit plutôt de Voltaire - mais on manquait de preuves écrites. Les imprimeurs français, nantis de nombreux privilèges royaux, attendaient les données pour les insérer dans les bréviaires et missels qui devaient être publiés pour la nouvelle année liturgique qui commence avec le temps de l’Avent début décembre. Ils se plaignirent firent connaître leurs réclamations au Nonce apostolique qui s’appelait alors Castelli. L’affaire remonta jusqu’au Pape. Je vous passe les péripéties de l’affaire. Les archives disposent de tous les échanges de lettre en le Nonce à Paris, le Cardinal Côme à Rome et Antonio Lilio. Bref, la réforme en France ne fut pas appliquée en octobre. Les 10 jours de rattrapage qui devaient être effacés du calendrier entre le 4 et le 15 octobre 1582, pour arriver à une concordance avec le cycle du soleil ne fut effacés qu’en décembre de cette année- là. C’est ce qui nous vaut le décalage que j’ai très souvent expliqué avec le dicton de la sainte Luce, qui de la veille du solstice d’Hiver fit un bon en arrière et se retrouva le 13 décembre. Depuis 1582 les jours n’avancent plus du saut d’une puce le 13 décembre ! Vous pourrez lire utilement les explications que j’ai déjà données sur ce sujet dans mes précédents chroniques.
Quant au début de l’année fixé au 1er janvier, cela avait été décidé dès le II siècle. Mais la mauvaise application des dispositions dériva longtemps, au point que, constatant de telles disparités selon les provinces qu’il traversait au cours d’un grand voyage à travers le pays, Charles IX, par l’édit de Roussillon, en 1564, fixa le début de l’année au 1er janvier. Cette décision nous a laissé le « poisson d’avril ».
Encore une tradition qui découle des réformes successives des calendriers. C’est dans ces occasions de nouvelle année que l’on s’offrait des « étrennes » ou « cadeaux ». Ce sont là encore deux mots très étroitement liés au temps et cette chronique se doit d’en expliquer pourquoi. Le terme « étrenne » a une origine ancienne ; il vient du latin « strena » qui désigne un cadeau d’heureux présage. C’est un présent que l’on fait plutôt à l’occasion du premier Jour de l’An. C’est aussi la gratification que l’on donne en fin d’année aux domestiques et à certains employés. C’est pour cette raison que le mois de janvier est baptisé : « le mois des concierges ». Étrennes est surtout utilisé au pluriel. L’origine des étrennes remonterait à l’époque des Sabins. Encore un héritage de leur part ! Ils avaient coutume au seuil de la nouvelle année de couper des branches de verveine dans les bois de la déesse Strenia ; les pauvres en faisaient cadeau aux riches, les serviteurs et maîtres. Après le rapt des Sabines par les Romains, ceux-ci auraient adopté cet usage en le développant ; c’est ainsi qu’on aurait ajouté aux branches quelques produits peu coûteux tels du miel, du gui, du laurier, des branches d’olivier. Alors les riches romains et les nantis, soucieux d’éblouir leur entourage, auraient somptueusement rendu ces cadeaux. Puis on offrit des amphores de vin, des paniers de dattes, de figues ou de légumes, des gâteaux et des fleurs. Pour « faire mieux et plus joli» on commença à envelopper les fruits d’une feuille d’or ou bien on échangea des médaillons sur lesquels était inscrit le traditionnel souhait : « Que l’année nouvelle soit heureuse pour toi ! » Ensuite vinrent les lampes symboliques en argile décorée. Un grand nombre de celles-ci ont été retrouvées dans des tombeaux. Au cours des siècles ces cadeaux, échangés au moment des Saturnales et des Calendes de janvier, sont devenus de plus en plus importants ; c’est pourquoi l’Eglise avait menacé d’excommunication ceux qui offriraient des objets trop luxueux et trop chers pour leurs ressources personnelles. Pour éviter l’application de ces ordonnances rigoureuses, les Romains se seraient mis à offrir également des présents aux prélats, aux magistrats et même à l’empereur. Ainsi ceux qui entendaient abolir la pratique des étrennes en devenaient les premiers bénéficiaires. Institutionnalisées, les étrennes devinrent donc une taxe directe dont l’empereur et son administration retirèrent de gros bénéfices.
Le mot « cadeau » vient lui du latin populaire « capitellus » dérivé de « caput », « tête » ; il a désigné la lettre capitale jusqu’au XVIème siècle, puis des paroles superflues enjolivant un discours, puis un divertissement offert à une dame et enfin le présent. C’est à la fin du XVIIIème siècle que ce terme a pris le sens qu’il a aujourd’hui. Le mot « présent » correspond à celui de « cadeau » mais il ne s’emploie plus aujourd’hui que dans la langue littéraire ou poétique. Les étrennes du jour de l’an ont presque disparu et les cadeaux nous amènent à Noël et à la dimension commerciale qui s’est développée autour de cette habitude, en lien avec l’invention récente du Père Noël. C’est encore dans les mêmes coutumes ou habitudes ancestrales qu’il faut trouver l’origine de la galette des Rois. En tirant les Rois en cette fête de l’Epiphanie nous pensons aux Rois Mages, à la crèche et encore aux cadeaux. En Espagne c’est encore ce jour-là que l’on fait les cadeaux aux enfants. Or la tradition de la galette des Rois est une coutume bien plus ancienne qui n’a dans ses origines rien à voir avec eux. C’est une tradition qui se réfère elle aussi à l’évolution du temps, à la longueur des jours, et au soleil qui brille chaque jour un peu plus et qui s’inscrit dans toutes les fêtes qui jalonnent ces jours autour du solstice d’hiver, où il n’est question que de fêter le triomphe de la lumière sur la nuit et les ténèbres. Les Romains organisaient à cette période des saturnales. On y partageait déjà la fève et on désignait ainsi le roi de la fête. Au Moyen Age ce fut la fête des Fous, devenus la fête des Innocents, sujette à toute sorte de débordements. Très tôt les chrétiens ont fait de ce jour la fête chrétienne de l’Epiphanie ! La manifestation de la Lumière du Monde aux Nations, symbolisée par les Rois Mages. C’est une des interprétations. Le gâteau partagé à cette occasion, appelé galette, était bien comme aujourd’hui dans les pays du Nord de la France, un gâteau plat et rond, symbolisant le soleil qui renaît, (on retrouvera ainsi le même symbolisme avec les crêpes de la Chandeleur) alors que le gâteau des Rois dans le midi est plutôt une brioche en forme de couronne qu’on appelle « royaume ».
Que ce rappel d’origines et de coutumes fort anciennes ne gâche pas notre plaisir, et fêtons Noël et les Rois sans scrupules. Cela n’a plus rien de païen dans nos festivités et l’hommage au jour qui triomphe sur la nuit n’est-il pas aussi un hommage à la création et au Créateur ! Le jour de l’Epiphanie marque souvent le début de l’hiver, ou au moins une forte reprise du temps froid. « Les hivers les plus froids, sont ceux qui prennent vers les Rois ». Une journée des Rois bien ensoleillée est peut-être un bon présage :« Beaux jours aux Rois, blé jusqu’au toit. » ou encore : « Belle journée aux Rois, l’orge croît sur les toits. ». « Si le soir du Jour des Rois, beaucoup d’étoiles tu vois, Tu auras sécheresse en été, et beaucoup d’œufs au poulailler. » Les différents calendriers, et leur mise en application, nous ont toujours valu quelques clins d’œil amusants et j’aurais pu en donner ici d’autres exemples, si je ne craignais de trop allonger cette chronique. Souhaitons-nous une Bonne Année 2023 quoiqu’il arrive et souvenons-nous que tous ces mots que je viens d’évoquer, calendrier, almanach, agenda, étrennes et cadeaux, galette des rois, et tutti quanti, c’est directement ou indirectement aux différents aménagements des calendriers à travers les siècles que nous les devons. Quelles que soient les prévisions ou les promesses, « Vérité dans un temps, erreur dans un autre » écrivait Montesquieu dans ses Lettres Persanes en 1721, « Il faut donner du temps au temps » nous dit Cervantès dans son Don Quichotte en 1605. Avec mes vœux les plus sincères pour ce mois de décembre et redoublons de prudence avec les virus de toutes sortes qui nous assaillent !
A Diou sias !