“ LE PATOIS ”
Nos amis de « La Sartan » (1) nous ont doucement remontré que « L’ARMAGNA DE LA VEILLE » ne devrait pas employer ce terme de « patois ».
- Il n’y a pas de patois. Ces « patois » sont des langues, disait notre sartanié.
- Ah, foutre, oui, nous sommes bien d’accord ! Mais, dans nos régions Cévennes-vivaroises, c’est encore le terme auquel d’ailleurs n’est attaché ici aucun sens désobligeant, qui est le mieux compris.
Mais, les sartaniés ne sont pas seuls de cet avis. Un de nos bons Cévenol (dont le nom fleure le meilleur blé), disait au Papet qu’il faudrait peut-être remplacer patois par « occitan », pour désigner une possible unification de nos graphies à proliférations désordonnées : un problème de plus...
Plus nous approchons du moment où le patois ne sera plus parlé du tout (ce sera fait lorsque le dernier survivant de la guerre 14-18 aura rejoint la maison du Père), plus on assiste à un regain d’intérêt pour nos parlers locaux. On s’aperçoit que ces langues naguère honnies et méprisées nous donnent, par exemple, la signification des noms de lieux-dits ; que le sens de certaines expressions révèle un mode de vie que nous avons plaisir à connaître ; que leur juxtaposition, lambeau par lambeau, judicieusement choisi, nous fait remonter jusqu’aux temps les plus reculés. Et de s’étonner de cette redécouverte. (Voir « Le Grisou » de la mine (Armagna N° 1), le baphomet...).
Les plus intéressés à étudier notre patois ce sont, et grâces leur en soient rendues, ces « étrangers » nouveaux Cévenols, que de nouveaux temps amènent, et souvent fixent chez nous.
Mais, ce qui rebute le plus ces « étudiants », et là, nous pouvons leur adjoindre nos enfants et nos petits-enfants, c’est la difficulté, plus apparente que réelle d’ailleurs, d’une lecture dont l’écriture a été livrée à la fantaisie phonique de l’auteur du texte.
Non pas, certes, qu’il faille reprocher à cet auteur d’écrire de cette façon ; il faut, au contraire, le féliciter de s’exprimer dans sa langue, et de te faire ainsi avec tout son coeur. Il n’en reste pas moins qu’il est bien vrai qu’il faudra, si l’on veut faciliter la tâche des nouveaux venus à la culture régionaliste, établir pour nos régions une règle de graphie. Une règle permettant, par exemple, de comprendre que « Cat - chat - tchat - t’sat » désigne partout le chat, mais que son nom est exprimé de telle ou telle façon dans tels et tels pays.
Le mercredi 2 juin 1965, à 21 h. 30, à l’écoute de l’émission en français de « La voix de l’Amérique aux pays d’Afrique et de Madagascar », on a pu entendre un haut fonctionnaire du Mali lancer cette exhortation, qui sonnait singulièrement à nos oreilles de Cévenol : « Il faut, disait ce représentant noir, trouver une orthographe de base permettant de conserver toutes les langues véhiculaires qui se chevauchent en Afrique, afin de les conserver... »
Et cette belle leçon nous vient de l’Afrique noire et... via l’Amérique.
Il faudrait que les patoisants qui signent : Lou Cercayre - O Dissate - Lou Féli - Parlo-soulet et bien d’autres augmentent le nombre de leurs chroniques. Il faudrait aussi que des professeurs, instituteurs, curés, pasteurs se fassent mainteneurs.
Il faudrait aussi que l’amateur, le débutant s’exerce à la récupération des mots qui vont se perdre... S’exercer, c’est là chose très facile ; partons, par exemple, d’un simple fait de la vie courante : supposons un paysan non encore motorisé, il rentre du labour, il aperçoit, en rentrant sa « bête », un gros taon qui, là, sur l’encolure, s’enivre à la sucer. Pan ! du plat de la main, notre homme aplatit la grosse mouche, en maugréant : « sanlo bestio ». Demandons-lui les noms de quelques-unes de ces « sanlo bestio ». D’abord, celle qu’il vient de tuer, tabarle, taon, et puis : Arno, mite ; Lendé, oeuf de pou ; Babaroto, cloporte ; Mouïssau, moucheron ; Courcousou, charençon ; Moustcho ou mousco, mouche ; Esterpi, courtillère ; Graulé, frelon ; Nieiro, puce ; Guêspo ou vespo, guêpe ; Pennaïso, punaise ; Irogno, araignée ; Pésoul, pou : Lengastro, tique ; Tigno, teigne.
Et voilà un élément de vocabulaire de trouvé !
D’où partira le mouvement ?
Nous pensons que c’est d’Aubenas, la capitale des pays de Cévennes-Vivarais, que devrait partir le mouvement qui centraliserait les travaux des bureaux d’études à créer : aux Vans, à Joyeuse, à Ruoms, à Vallon, à Largentière et à Privas, pour ne parler que du Bas-Vivarais, mais qu’on devrait étendre à tout le « Nord-occitan ».
Posons d’abord une pierre ; ceux qui viendront après continueront de bâtir.
Note : 1 - « La Sartan » (la padelo, la poèle), revue publiée en pur occitan, tous tes deux mois.