LES CEVENNES - 2/3
   12/12/2022
LES CEVENNES - 2/3

LES CEVENNES - 2/3

Par Jean Luc Eymery (2008)

Cévennes : l’Histoire en marche

Des montagnes où se partagent les eaux qui dévalent vers les rivières et les gardons forment des fleuves ravageurs, dès l’automne les « gardonnades » sont tristement célèbres ; à la sècheresse de l’été succèdent souvent des pluies diluviennes, en quelques jours il tombe autant d’eau qu’à Paris en une année, la région et de plus en plus à ces phénomènes climatiques, le paradoxe chez nous devient habituel et s’aggrave, les catastrophes naturelles deviennent courantes, voire banales. Les textes anciens relatant ces faits divers ne manquent pas, il y est fait mention d’invasions de sauterelles, de tremblements de terre, d’ouragans, de coups de vent et d’inondations. Dans les mémoires des gens d’ici c’est chaque fois une angoisse lorsque le temps menace, que les rivières grossissent et débordent, revient alors à l’esprit la dernière crue, la dernière tempête, la dernière canicule, l’eau restant le principal problème.

Lors de situations exceptionnelles on remarque que les communautés réquisitionnent les denrées des producteurs ; châtaignes, oignons, pommes de terre, blé… Convocation après la crue du 7.9 et 10 vendémiaire An IV à Aulas : « les torrents ont fondu sur nos maisons, les ont renversées, avec elles nos bestiaux, nos provisions. Arbres et rochers entrainés ont rompu les digues qui retenaient le Coudoulous et la Bréaunèze. Cette crise d’eau abaissée a laissé les habitants consternés ; rues emportées, arbres arrachés, nos murs et amphithéatres (traversiers) renversés, nos souches arrachées avec la vendange »

Ici l’eau est présente partout ; la quiétude et la fraîcheur des cascades, les gours et les bassins sont des piscines naturelles. Le climat est méditerranéen mais subit les influences atlantique, les étés sont chauds   et  secs  l’arrière  saison belle  et  douce, les   couleurs de l’automne attirent les amateurs de nature ; en principe les hivers sont assez doux mais les sommets enneigés permettent la pratique de sports d’hiver. La Cévenne possède une puissante identité et une forte individualité ; Monsieur de Gensanne dans son histoire naturelle de la Province de Languedoc l’avait remarqué : « les montagnes de l’Espérou sont couvertes de très belles forêts de haute futaie, consistent en sapins et hêtres, il y a en outre des pâturages magnifiques. En jetant les yeux sur quelques cantons isolés qu’on a défriché dans ces précipices, tant à droite qu’à gauche de l’Hérault qui prend ici sa source, nous avons été effrayé par la hardiesse de ces pauvres gens qui vont y exposer leur vie pour y semer et recueillir quelques gerbes de seigle. »

La préhistoire nous laisse le passage des animaux et des hommes, pierres levées et tombes jalonnent les chemins. Arrivent les romains et les centurions à qui l’on attribue trop souvent ces routes, le moyen âge avec ses pèlerins et les voyageurs chargés comme des bêtes, la « couble » de mules entre le haut et le bas pays ou des marchandises changent de mains ; les armées, les bandes de pillards circulent aussi. Le chemin possède aussi sa mémoire gravée à jamais dans la pierre, mégalithes, vieux ponts, calades, empreintes de sabots, de roues. Loin des compétitions sur les routes bitumées de la civilisation, un retour sur ces vieux chemins piétinés par des hommes qui ont contribués à l’Histoire.

Des reliefs de nos montagnes, longtemps impénétrables, renfermées sur elles-mêmes et gardant ses mystères, les voies ancestrales de pénétrations, ce sont les troupeaux transhumants qui montent à l’estive de mai à septembre, qui les ont ouvertes. César en profita lors de la conquête des Gaules en – 58 et peut être aussi les peuples maures qui montèrent jusqu’à Poitiers. La ville d’Anduze est réputée imprenable, « cette ville se trouvant par sa situation gorge des Cévennes, était une barrière forte et les incursions barbares, Vandales, Goths et Sarrasins ne purent jamais avancer leur conquête de ce côté là. »  Les Vandales se bornèrent à piller et ravager le pays, ils bifurquèrent sur Saint Ambroix et Uzès mais ne prirent pas les chemins des Cévennes, ils se contentèrent des plaines plus faciles à prendre.

Des voies de communication sont créées de bonne heure. On note une voie romaine qui par Anduze réunit Nîmes à Javols. Le Bas Pays sert alors de base aux armées romaines qui fréquentent l’axe Italie-Espagne. Ces routes servirent les desseins politiques et religieux puis économiques. Le chemin fut un souci pour la collectivité., il suivit l’évolution, si nos ancêtres se déplaçaient pour des besoins vitaux, nos déplacements sur ces chemins livrés à la nature ne sont plus des contraintes, la marche en groupe  ou seul fait partie des loisirs, un besoin naturel de respirer ! un moment d’émotion et de bonheur rare.

Au XVIII ème siècle, Monsieur de Gensane qui parcourait la province à la recherche de gisements disait qu’il voyageait « au travers de ces montagnes et de ces roches avec la même aisance que dans la prairie ». Il ajoute que le commerce se fait intelligemment « les denrées d’un canton passent avec facilité à un autre qui en manque. Le canton qui n’a que des châtaignes en fournit à celui qui a du blé et ainsi de toutes autres denrées. »

Un personnage haut en couleur, le muletier, aisé et considéré, était à la tête d’une « couble »  d’une vingtaine de mules. Vêtu d’une veste de cadis, d’une cape, d’un bonnet de laine rouge, de souliers de cuir surmontés de guêtres, d’une ceinture rouge, des rubans de couleurs vives et des boutons dorés, d’un chapeau à larges bords et d’un couteau à poinçon, un fouet complétait l’équipement. C’était sur des sentiers que ces longues files portaient des marchandises de la montagne à la plaine et de la plaine à la montagne. Une halte dans les bourgs ou des auberges assuraient le couvert et le repos ou bien dans des relais d’affenage le long des chemins. C’était une entreprise de transport, les mules harnachées de courroies cloutées pouvaient porter jusqu’à 200 kilos ; les chargements s’effectuèrent sur des charrettes dés que les chemins devinrent carrossable au début des années 1760, les attelages transportèrent des voyageurs. La création des malles-postes précèdera les machines à traction mécanique. 

Plus près de nous il faut faire confiance aux premières cartes pour mieux comprendre les limites et l’identité Cévenole ; lors de la guerre des Cévennes les cartes permirent une meilleure connaissance des lieux, des chemins, des populations. Sur les crêtes, les pistes (drailles) sont aménagées pour les besoins des troupes venues dans ce pays de cocagne ; la route royale de Nîmes à Saint-Flour est appelée avant 1815 route Impériale, d’autres chemins sont ouverts dans les vallées et les routes de montagne sont peu à peu abandonnées jusqu’en 1950 où tourisme et intérêt économique obligent, la route dite de la corniche des Cévennes devient une voie de communication importante entre Languedoc et Gévaudan avec de magnifiques points de vue. Au XVIIIème siècle 28 chemins royaux sont ouverts et aménagés, ils ne sont pas bitumés comme aujourd’hui, quelquefois pavés ou empierrés le plus souvent mal entretenus ; des ornières, des effondrements de terrain, de la poussière ou de la boue, des côtes rudes et des descentes dangereuses pour les équipages ; tout au long et de loin en loin des relais d’affenage, des auberges, des hameaux permettaient de sortir d’un environnement hostile et peu sûr. Charrettes et charretons croisent quelquefois une malle poste, des troupes, des « coubles » de mulets animaux indispensables pour le transport des marchandises sur les chemins escarpés. Les routes de Bâville ont 20 pas de larges, les chemins de travers 10, les voies anciennes sont remises en état ainsi que les ponts ; « chemins royaux » où l’abbé Laurens est chargé de la surveillance des travaux. Après la guerre des Cévennes ces chemins ne sont plus entretenus par les pouvoirs publics de l’époque preuve qu’ils étaient faits pour mâter la révolte des Cévennes.

Loin des grands centres la France reste rurale et les foires sont prisées par les populations ; auberges, tavernes, estaminets, bouges et gargotes sont très fréquentés par les hommes, le vin et l’eau de vie y coulent à flot ; ces foires sont des lieux de rencontre où les échanges, les nouvelles circulent ; pour l’occasion et souvent une seule fois par an, l’on retrouve des amis ou des parents.

En 1628 Antoine Sercamanen géographe du roi, Fabre ingénieur en 1629 puis J.B. Nolin en 1703, Monteillet en 1726 ainsi que les Cassini famille d’astronomes et de topographes dessineront pour les rois successifs des cartes des Cévennes ; l’on découvre alors les richesses du pays qui sort de son isolement. Après la rédaction d’un mémoire de l’abbé de Sauvages consacré aux terrains houillers du Vivarais de 1747, les Etats du Languedoc chargent Monsieur de Gensanne, membre de l’académie royale de Montpellier, d’étudier les gisements miniers ; fer, cuivre, zinc, plomb, argent, or… y sont aussi exploités. La houille qui fournit du travail à des milliers de personnes permit   le  développement  industriel sur  une grande  échelle  dans  la région, un pas de géant vers le progrès, mais l’abandon des terres cultivables par les cévenols. « En remontant le gardon et le galeizon depuis Rochebelle, sur une demie-lieue de longueur est entrecoupé de veines de charbon de terre, qui aboutissent à des maîtresses veines dans le centre de la montagne. Les ouvriers font des trous et en tirent tout le charbon jusqu’à ce qu’ils trouvent l’eau puis ils recommencent à quelques toises de distance ; ce charbon n’est propre qu’à faire de la chaux. En prenant ce fossile par le bas on l’aurait de bonne qualité. A trèpeloup se trouve quantité de mine de fer et leurs veines s’étendent NE – SO. Une branche s’étend le long du gardon et par Robiac, Saint-Ambroix, Barjac va au Pont-Saint-Esprit, vers ces endroits sont des mines d’asphalte ». Ces mines étaient déjà exploitées à l’époque gallo-romaine ainsi qu’au moyen âge par les moines ; aujourd’hui d’autres énergies ont fait disparaître les « gueules noires ». Au XIXème siècle Léonce Destremx de Saint-Christol du château de Montmoirac écrivait : « le paysan cévenol possédait trois cordes à son arc, le châtaignier avec lequel il se rie de la misère, le mûrier qui lui donne l’aisance avec l’agriculture c’est la richesse » ; il est vrai que les Cévennes étaient des terrains rudes où les cévenols vivaient chichement ; Monsieur de Gensanne (encore lui) l’avait remarqué un siècle avant : « Depuis Toiras jusqu’auprès d’Anduze, le vallon se rétrécit et les côteaux remplis de roches de toutes espèces y sont très rapides. Les endroits de culture sont couverts de châtaigniers, de mûriers et d’oliviers. La petite plaine au-dessus de la ville n’est qu’un jardin couvert d’oliviers, les légumes de toutes espèces y croissent à l’ombre de ces arbres. Cette ville est placée entre deux montagnes escarpées, où la rivière resserrée dans les fortes pluies inonde une partie de ses rues, au lieu que si elle eût été placée à une portée de fusil plus haut ou plus bas, elle eût été dans une situation agréable et à l’abri de ces inconvénients. Tous les environs sont couverts d’oliviers, de mûriers ou de vignobles. La plaine qui est comprise entre les gardons consiste en terres légères, labourables et il y a de très bonnes prairies. »

  Les temps changent ; la perte des industries métalliques et minières, l’abandon du pays, la diminution et la fin programmée de l’élevage, les querelles politiques et religieuses, la démographie et l’immigration conjuguées, la perte de l’identité et des traditions ancestrales font que le cévenol aime à se souvenir, il garde une mémoire orale transmise par des générations, la mémoire d’un temps passé et qu’importe la critique ! En 1960 le Parlement votait une loi pour la protection des sites naturels, le P.N.C. (Parc National des Cévennes) voit le jour en 1970, protection d’une population locale, d’une identité spécifique de plus en plus menacée ; les Cévennes ne sont ni un parc de loisirs ni une réserve d’indiens ; l’UNESCO a choisi ces montagnes pour y constituer une protection environnementale et la sauvegarde d’un patrimoine naturel et culturel. L’homme et la nature dans le respect de chacun, c’est aussi le droit des vacanciers, le devoir de mise en garde d’un tourisme de masse où quelques fantaisistes se plaisent à détériorer ce qui reste des ruines du pays ; il y a pire avec les promoteurs porteurs de projets modernes rapportant gros, politiques ambitieux ou prédateurs de tous poils. Obligé de se protéger le cévenol retrouve alors la grogne contre l’envahisseur ; il est pourtant facile lors de promenades de découvrir de pittoresques hameaux où des gens un peu austères de prime abord auront un réel plaisir à vous faire aimer leurs lieux de vie ; produits du terroir, artisanat et vastes horizons, panoramas somptueux et explosion de couleurs ; ici un élevage de chèvres, une cascade…, là un toit de lauzes, un four familial, une source, des châtaigniers multi centenaires…

Bienvenue en Cévennes !

« Le temps, ça ne se compte pas ; le temps ça se prend »

à suivre…