Noël, Calendos, Nadal, fête de la famille et du partage
La neige a déjà vêtu de blanc les montagnes et, depuis la fin novembre, tout le monde pense à Noël, cette fête immémoriale qui nous vient du fond des temps...
En Cévennes, elle porte en langue d’Oc le nom de Calendos, mot venant du latin calendae, les calendes étant le premier jour de chaque mois, les quinze jours qui précédaient étant décomptés rétroactivement par les Romains. Ainsi, Noël, le 25 décembre, était le septième jour avant les calendes de janvier. Et comme la fête de Noël s’étalait sur plusieurs jours on appelle toujours cette période les Calendes de Janvier.
Aujourd’hui, cette fête a bien évolué, surtout depuis la deuxième moitié du 19ème siècle, tout en incorporant des traditions anciennes comme plus récentes, même si elle est devenue, en plus de son aspect religieux et familial, une grande entreprise commerciale.
Ancienneté de la fête de Noël
Noël se place à un moment crucial de l’année qui est le solstice d’hiver. De ce fait, elle n’a de sens que dans l’hémisphère nord de la terre, l’hémisphère sud éprouvant lui les chaleurs de l’été. Son domaine véritable correspond aux régions d’Europe et d’Eurasie où la révolution néolithique, il y a de cela 10 000 ans, a introduit l’agriculture et l’élevage, toutes activités qui dépendent du rythme des saisons et dont les passages, de l’une à l’autre, ont eu besoin d’être sacralisés.
Ici, le solstice d’hiver marquait, dans les sociétés traditionnelles, le moment où la vieille année allait mourir, suivi de l’avènement de la nouvelle. La fin de la vieille année était aussi le moment où toutes les récoltes étaient rentrées et où les troupeaux allaient demeurer à l’abri dans les bergeries. Il faudrait, à partir du solstice, économiser les provisions en attendant les prochaines récoltes. D’où la tradition d’une fête de la famille, des enfants et du partage.
Des Saturnalia à Noël
Dans l’Antiquité les Romains fêtaient li Saturnalia (Saturnales) du 17 au 23 décembre. En Babylonie il y avait les rituels de la mythologie d’Adonis-Tammuz. En, Iran, C’était - et c’est toujours au 21 décembre - la fête de Yelda qui ressemble bien à nôtre Noël. Dans le Maghreb, en pays berbère, c’était - et c’est toujours - la fête de Ennayer, le solstice d’hiver étant considéré comme la « première porte de l’année ». Les Juifs, eux, célébraient et célèbrent toujours au mois de kislev (fin novembre ou début décembre) la fête de Hanouka ou des lumières.
C’est sous l’empire romain qu’apparut un autre culte venu d’Iran, celui de Mithra, dieu du soleil et de la lumière, qui fut adopté par les légions. Mithra renaissait chaque 25 décembre, dans une grotte, accompagné souvent de bergers, et ce jour-là lui fut consacré à Rome devenant ainsi le Dies Natalis Solis Invicti (Jour du dieu soleil invaincu). Ce culte fut longtemps en concurrence avec le christianisme naissant puis, celui-ci prit le dessus. D’où comme personne ne connaissait exactement la date de naissance du Christ, la décision du pape Libère qui, par un décret apostolique de 376, remplaça la fête de la naissance de Mithra par celle du Christ qui fut ainsi le nouveau soleil invaincu, les prêtres de l’ancien culte, les rois Mages (ou Magoi), étant incorporés dans la nouvelle mythologie.
Noël à travers les siècles
C’est ainsi que, peu à peu, la fête de Noël se répandit dans tous les territoires christianisés devenant la principale manifestation religieuse de l’année. Frédéric Mistral a noté que, pour les anciens Provençaux, l’année commençait au 25 décembre et non au premier janvier.
Le nom de Noël vient de Dies Natalis Solis Invicti, qui a donné Natalis Dies Solis ou Neos Helios (nouveau soleil). Dans le domaine de la langue d’Oc on le retrouve sous la forme Nadau (en Cévennes et Provence), Nadal (en Languedoc central), mot qui a pour origine Natalis, Nouè sur la rive gardoise du Rhône et Nouvè encore en Provence. Nos anciens, toutefois, lui préféraient Calendos, car la façon de décompter le temps par les Romains a été utilisée très tard dans les actes notariés et les actes officiels.
C’est vers le 12ème que débuta la représentation de la Nativité du Christ avec des personnages de grandes dimensions. On leur donna le nom de crèche puisqu’il était né dans une étable. Ces représentations ayant été interdites par la Révolution, des familles marseillaises les remplacèrent, chez elles, par des petites crèches avec des personnages de papier mâché, les santons. Cette tradition nouvelle, peu à peu, se diffusa dans toute la Provence ainsi que dans les territoires limitrophes et les autres régions de France. Aujourd’hui crèches et santons sont devenus des symboles mondiaux de la représentation de la Nativité par les catholiques, mais ne sont pas utilisés par les protestants.
Il est amusant de constater que, les Marseillais, par delà siècles et millénaires, avaient ainsi renoué avec deux vieilles traditions romaines : celle des dieux lares, petites statuettes des dieux protecteurs d’une famille qui avaient une place d’honneur dans chaque maison et, celle di sigillaria, petites poupées d’argile dont les Romains se faisaient présent, des uns aux autres, pendant les Saturnales de décembre !
Noël plus près de nous
Noël est devenu, en France, une grande fête commerciale de la famille et du partage, d’une génération à l’autre, tout en conservant son aspect religieux.
Cela a pour origine le 19ème siècle. En effet, parallèlement au développement de la tradition des crèches et des santons, - que Mistral, chez lui, au mas, dans sa jeunesse ne connaissait pas - est apparu celle du sapin ou arbre de Noël fort populaire dans les pays germaniques. Hélène, princesse royale de France, l’introduisit en 1837 au Palais des Tuileries. Mais, c’est vers la fin du siècle, dans le climat de la laïcisation, que l’arbre de Noël se répandit véritablement. Il convient de noter, ici, qu’il ne faisait pas partie des coutumes provençales et que Mistral, encore, ne le connaissait pas.
En Cévennes et Vivarais ce sont, à la fin du 19ème siècle, les écoles publiques et protestantes qui le diffusèrent principalement, en l’accompagnant d’une distribution de jouets. L’enracinement de la nouvelle tradition se poursuivit et, finalement, se généralisa dans les années 1930-1940. Nos anciens, cependant, n’achetaient pas de sapins : je revois encore mon père, dans les années 1940, revenir de la mine de Rochebelle, à la nuit noire, avec en travers de son vélo une belle branche de pin coupée dans un bois et qui allait faire office d’arbre de Noël !
La veillée de Noël en Cévennes et Vivarais
En plaine, dans les zones de garrigues, il y avait autrefois la même tradition qu’en Provence, celle de faire un repas familial maigre à base de merlusse (la morue salée), le plat des pauvres, avant d’aller assister à la messe de minuit et de se réchauffer d’une tisane au retour. On appelait cela « lou gros soupa » (le gros souper, dans le Midi, le soir, on soupe, on ne dîne pas…), lequel était préfacé par la bénédiction du calendau ou chalendau, la véritable bûche de Noël, qui devait tenir l’âtre jusqu’aux Rois. Thomas Platter, en 1598, a participé, à Uzès, à un « gros soupa » et à la bénédiction du calendau appelé aussi cacho-fioc. Cette tradition, ici, a presque disparu, elle se maintient seulement à proximité de la Provence où elle a souvent le caractère d’un grand repas associatif.
En montagne, les gens, surtout ceux des hameaux et des mas écartés, devaient souvent faire du chemin dans la nuit, par temps de neige et de grand froid, pour aller jusqu’à l’église du village écouter la messe de minuit. Ils prenaient, avant de partir, une infusion bien chaude et, bien emmitouflés, le fanal d’une main et un gros bâton ferré de l’autre pour se prévenir des loups, ils cheminaient ensuite en troupe. Au retour, et cette tradition s’est bien conservée en Cévennes et Pays d’Alès, c’était le moment du réveillon, un gros repas fait dans la nuit pour reprendre des forces.
Dans les deux cas, cependant, les enfants avaient soigneusement déposés leurs sabots ou leurs galoches devant la cheminée. Et il n’est pas si lointain le temps où, au matin, en se levant, ils y trouvaient trois figues, quelques bonbons, une orange parfois, des pommes ou bien un oignon ou une pomme de terre pour ceux qui n’avaient pas été sages. Aujourd’hui, les enfants mettent leurs souliers devant la cheminée ou au pied de l’arbre de Noël familial en espérant le passage du Père Noël.
Les protestants, eux, faisaient et font toujours des veillées de Noël dans le temple, uniquement décoré d’un beau sapin illuminé, le soir qui précède la fête ou quelques jours avant. Ces veillées, souvent oecuméniques, sont animées par la participation des enfants. Elles se poursuivent, après Noël, par un repas pris en commun avec des chants de Noël. Autrefois, la veillée dans le temple, se concluait par une distribution de jouets.
Le Père Noël
C’est un personnage qui, désormais, a son bureau postal à Livourne, en Aquitaine, et reçoit chaque année des dizaines de milliers de lettres.
Il fut popularisé au 19ème siècle. Son origine est anglo-saxonne et germanique. Le Père Noël est un nouvel avatar de Santa Claus, de la Mère Noël, comme d’anciennes traditions païennes liées à la célébration du solstice d’hiver. Il a mis du temps pour être accepté par les catholiques et les protestants ne le reconnaissent pas.
Il ne s’est vraiment répandu en France qu’après la deuxième guerre mondiale. Il est absent des crèches, ce n’est pas un santon, il ne figure pas dans les rôles des Pastorales provençales qui se jouaient, autrefois, en Alès, soit au Foyer Saint-Jean, soit à Rochebelle avec le Cercle Saint-Louis. C’est un pur produit de l’imaginaire européen dont la renommée a bénéficié de la publicité commerciale. Mais, pour les tout petits, c’est une belle légende !
Et pour terminer…
Noël a généré de nombreux proverbes et dictons.
Il y en a un, toutefois, qui n’a pas de sens. C’est celui-ci : « Pour Sainte-Lucie les jours augmentent d’un saut de puce ». Voici : du 21 au 25 de décem-bre la durée des jours n’augmente quasiment pas. Avant la réforme en 1582 de notre calendrier, le calendrier grégorien, la Sainte-Lucie se fêtait le 23 décembre, en plein dans la période où les journées sont égales, ce que le proverbe véritable constatait en di-sant : « Pour Sainte-Lucie les jours augmentent du saut d’une poule qui… couve », donc qu’ils ne bougeaient pas, car les poules ne sautent pas sur leurs œufs. Or, la réforme grégorienne fit passer la Sainte-Lucie au 13 décem-bre, date à laquelle les jours continuent de diminuer et non d’augmenter !
Et avec cela, bonos Fèstos de Calendos dinc toutos las Cevenos.
Bonne Fête de Noël à tous.
Jean-Claude ROUX